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  • Le Doggerland, terre engloutie

    Un article très intéressant tiré du National Geographic : http://www.nationalgeographic.fr/6308-comprendre-la-disparition-du-doggerland-pays-immerge-en-mer-du-nord/

     

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    copyright Robert Clark

     

    Sur les traces du Doggerland, pays immergé depuis 8 200 ans

    Depuis des décennies, des pêcheurs de la mer du Nord remontent dans leurs filets les traces d’un monde disparu. Aujourd’hui, les archéologues se posent une question d’actualité : qu’arrive-t-il aux habitants d’un pays qui disparaît sous les flots ?

    Personne ne voulut croire à un monde perdu quand ses vestiges commencèrent à remonter du fond de la mer du Nord.

    Les premières traces firent surface il y a un siècle et demi, lorsque les pêcheurs des côtes néerlandaises adoptèrent à grande échelle la technique du chalut à perche. Ils traînaient au fond de la mer des filets lestés, qu’ils remontaient grouillants de soles, de carrelets et d’autres poissons des profondeurs. Mais, parfois, une énorme défense tombait avec fracas sur le pont, ou bien les restes d’un aurochs, d’un rhinocéros laineux ou de quelque autre espèce éteinte.

    Des générations plus tard, Dick Mol, paléontologue amateur, persuada les pêcheurs de lui porter les ossements, accompagnés des coordonnées des lieux de découverte. En 1985, un capitaine lui rapporta une mâchoire humaine superbe­ment conservée, avec des molaires usées.

    Avec son coreligionnaire et ami Jan Glimmerveen, Mol la data au radiocarbone : 9 500 ans. L’individu avait donc vécu au Mésolithique, compris en Europe du Nord entre la fin de la dernière glaciation, voilà environ 12 000 ans, et l’avènement de l’agriculture, 6 000 ans plus tard.

    « Nous pensons que [cette mâchoire] provient d’une sépulture, avance Jan Glimmerveen, une sépulture demeurée intacte depuis que ce monde a disparu sous les eaux, il y après de 8000 ans.»

    L’histoire de cette terre submergée débute avec le recul des glaces. Il y a 18 000 ans, les mers autour de l’Europe du Nord étaient plus basses d’environ 122 m qu’auourd’hui. Le Royaume-Uni ne constituait pas une île mais la pointe nord-ouest et inhabitée de l’Europe.

    Des toundras gelées le séparaient du reste du continent. Tandis que la planète se réchauffait et que les glaces reculaient, cerfs, aurochs et sangliers s’avancèrent vers le nord et l’ouest. Les chasseurs les suivirent. Quittant les hautes terres de ce qui est à présent l’Europe continentale, ils se retrouvèrent dans une vaste plaine de basse altitude.

    Les archéologues l’appellent le Doggerland, d’après le Dogger Bank, vaste banc de sable de la mer du Nord parfois dangereux pour les navires. Ce territoire était jadis vu comme un pont terrestre et largement inhabité entre l’Europe continentale et le Royaume­-Uni actuels.

    De nos jours, on pense que le Doggerland fut peuplé par des hommes du Mésolithique, sans doute en grand nombre, jusqu’à ce que l’implacable montée des eaux ne les en chasse, des millénaires plus tard.

    Une époque de bouleversements climatiques et sociaux s’ensuivit. À la fin du Mésolithique, l’Europe avait perdu une portion substantielle de ses terres émergées et ressemblait beaucoup à ce qu’elle est aujourd’hui.

    Nombre de spécialistes considèrent désormais le Doggerland comme la clé pour comprendre le Mésolithique en Europe du Nord, et cette période elle­-même comme un âge susceptible de nous éclairer au moment où nous traversons une nouvelle phase de changements climatiques.

    Dirigée par Vince Gaffney, une équipe d’archéologues environnementaux de l’université de Birmingham nous a fourni une bonne idée de l’aspect de cette contrée disparue. En s’appuyant sur les données de relevés sismiques, ces chercheurs ont reconstitué numériquement près de 46 620 km2 du paysage submergé – une superficie supérieure à celle des Pays-Bas.

    Vince Gaffney est directeur de l’IBM Visual and Spatial Technology Centre de l’université de Birmingham. Là, il projette sur de gigantesques écrans couleur des images de la terra incognita.

    Le Rhin et la Tamise s’y rencontraient, se déversant vers le sud dans un fleuve qui coulait là où se trouve dorénavant la Manche. Tenant compte du climat de l’époque, peut-être plus chaud qu’aujourd’hui de quelques degrés seulement, les courbes sur l’écran symbolisent des collines légèrement ondulées, des vallées boisées, des marais luxuriants et des lagunes. « Cet endroit était un paradis pour les chasseurs-cueilleurs », assure Vince Gaffney.

    Avec la publication de la partie initiale de cette carte, en 2007, les archéologues ont pu « voir » pour la première fois le monde mésolithique, et même identifier des emplacements probables de peuplements.

    Avec l’espoir de les exhumer un jour. Pour l’heure, ces sites restent hors de portée, à cause des coûts de l’archéologie sous-marine et de la mauvaise visibilité régnant en mer du Nord. Mais les archéologues ont d’autres moyens pour découvrir qui étaient les habitants du Doggerland et comment ils réagirent à l’inexorable transgression de la mer.

    Il y a d’abord les trésors remontés par les pêcheurs. Glimmerveen a accumulé plus d’une centaine d’objets, outre la mâchoire humaine : os d’animaux portant des traces de dépeçage, outils en os et en bois de cerf, dont une hache ornée d’un motif en zigzag.

    Les lieux de ces trouvailles sont connus et, au fond de la mer, les objets s’écartent en général peu du point où l’érosion les libère. Glimmerveen est donc quasi sûr que nombre d’artefacts viennent d’une zone précise du sud de la mer du Nord, appelée De Stekels (« les épines ») par les Hollandais et hérissée de crêtes sous-marines : « Le ou les sites devaient être proches d’un réseau hydrographique. Peut-être ces gens vivaient-ils sur des dunes de rivière. »

    Une autre façon de comprendre les habitants du Doggerland consiste à fouiller aux alentours des sites intertidaux ou en eaux peu profondes, d’un âge similaire. Comme celui de Tybrind Vig, à quelques centaines de mètres de la côte d’une île danoise de la mer Baltique, dans les années 1970 et 1980.

    Il a livré les traces d’une culture de la pêche étonnamment avancée de la fin du Mésolithique, dont des pagaies de canot finement décorées et plusieurs canots minces et longs (l’un mesure plus de 9 m).

    Plus récemment, Harald Lübke et ses collègues du Centre d’archéologie balte et scandinave du Schleswig (Allemagne) ont fouillé plusieurs villages sous-marins, vieux de 8 800 à 5 500 ans, dans la baie de Wismar, le long de la côte balte allemande.

    Ces sites révèlent un changement de régime alimentaire de leurs habitants, passés de poissons d’eau douce à des espèces marines tandis que la montée de la mer transformait leur territoire. Au fil des siècles, les lacs intérieurs ceints de forêts firent place à des marais roseliers, à des fjords et, enfin, à l’actuelle baie ouverte.

    Même métamorphose à Goldcliff, le long de l’estuaire de la Severn (pays de Galles), que l’archéologue Martin Bell et son équipe de l’université de Reading fouillent depuis vingt et un ans. Au Mésolithique, le fleuve coulait dans une étroite vallée encaissée. Le niveau de la mer s’élevant, son cours déborda de la vallée, puis s’élargit, créant les contours de l’estuaire actuel.

    Un jour d’août, à Goldcliff, lors d’une marée exceptionnellement basse, je suis Bell et ses collègues à travers des vasières ruisselantes qui aspirent les semelles de nos chaussures. Nous passons devant d’énormes troncs noirs de chênes préhistoriques gisant conservés dans la boue. 

    Nous disposons de moins de deux heures avant que la marée ne remonte. Nous arrivons à une saillie ordinaire qui, il y a 8 000 ans, formait le bord d’une île. Un membre de l’équipe l’asperge d’eau à haute pression et, soudain, y apparaissent une série de vieilles empreintes – trente-neuf en tout –, laissées dans les deux sens par trois ou quatre individus tout du long. « Peut-être ont-ils quitté leur campement pour relever leurs nasses dans un chenal alentour », suggère Bell.

    À une époque, estime le chercheur, l’estuaire abritait de nombreux campements, chacun habité par un groupe familial élargi de peut-être dix individus. Ces campements n’étaient pas occupés en permanence.

    Le plus ancien aurait été submergé lors des plus hautes marées ; ses visiteurs étaient donc bien saisonniers et reconstruisaient leur camp un peu plus haut sur le versant à chaque fois qu’ils y retournaient.

    Et, chose étonnante, ils revinrent là pendant des siècles, voire des millénaires, retrouvant leur chemin à travers un paysage radicalement changé. Ils durent être témoins de l’engloutissement et de l’agonie de la forêt de chênes.

    « Il y eut probablement une époque où des chênes d’une taille colossale se dressaient, morts, dans les marais salés, explique Bell. Cela devait être un paysage étrange. »

    Été et automne étaient sans doute des saisons fastes le long de la côte, avec, dans les marais, des pâturages attirant des animaux sauvages que l’on pouvait chasser. La pêche était bonne, les noisettes et les baies abondaient.

    À d’autres périodes, les groupes gagnaient les hauteurs, suivant vraisemblablement les vallées des affluents de la Severn. Avec une culture uniquement orale, les individus âgés devaient être des dépositaires cruciaux de la connaissance de l’environnement, par exemple capables d’interpréter les migrations des oiseaux et de dire au groupe quand arrivait l’heure de partir pour la côte ou de prendre la direction de zones plus élevées.

    La découverte de très nombreux objets sur des superficies réduites suggère que les hommes du Mésolithique se réunissaient chaque année pour des manifestations sociales – peut-être au début de l’automne, lors de l’arrivée des phoques et de la montaison des saumons.

    Dans l’ouest du Royaume-Uni, ces rassemblements avaient lieu au sommet de falaises surplombant les terrains de chasse. Ils permettaient sans doute aux jeunes gens des divers groupes de trouver des partenaires et d’échanger des informations sur des réseaux de rivières situés au-delà du territoire de chaque groupe – qui devenaient vitales alors que la mer continuait à bouleverser le paysage.

    Au plus rapide, le niveau de la mer s’élevait de 1 ou 2 m par siècle. Mais l’inondation ne fut pas uniforme, du fait d’une topographie irrégulière. Aux basses altitudes du Doggerland, la montée des eaux changea les lacs intérieurs en estuaires.

    La reconstitution numérique de Gaffney montre que l’un d’entre eux en particulier, l’Outer Silver Pit, contient d’importants bancs de sable que seuls de violents courants de marée ont pu créer

    À un moment, ces courants rendirent sans doute dangereuse la traversée dans des canots en bois, pour constituer au bout du compte un obstacle permanent interdisant l’accès aux terrains de chasse autrefois familiers.

    Comment les chasseurs du Mésolithique, tellement en phase avec le rythme des saisons, s’adaptèrent-ils quand leur monde commença à disparaître ? Jim Leary, un archéologue travaillant pour English Heritage, s’est livré à une étude approfondie de la littérature ethnologique, en quête de parallèles avec les Inuits et d’autres chasseurs-cueilleurs modernes confrontés aux changements climatiques.

    Pour ceux qui, doués pour la pêche ou la construction de bateaux, surent tirer profit de la montée de la mer, les nouvelles ressources durent être une aubaine… pendant un temps. Mais il arriva finalement un stade où la perte du territoire effaça ces bénéfices substantiels.

    Les anciens des peuples du Mésolithique – ces « dépositaires de connaissances », comme les qualifie Leary – se seraient alors trouvés dans l’incapacité de lire les subtiles variations saisonnières dans le paysage et d’aider le groupe à s’organiser en conséquence.

    Coupés de leurs territoires de chasse, de pêche, ou même de leurs cimetières, ces gens durent éprouver un sentiment profond de déracinement, observe Leary, « tels des Inuits que la débâcle empêcherait de retourner chez eux ».

    « Il y aurait eu d’énormes mouvements de population, selon Clive Waddington, d’Archaeological Research Services Ltd., du Derbyshire. Les gens vivant dans ce qui est aujourd’hui la mer du Nord auraient été déplacés très rapidement. »

    Certains se dirigèrent vers le Royaume-­Uni. Les premières collines qu’ils aperçurent furent donc celles de sa côte nord­-est. Là, à Howick, dans le Northumberland, l’équipe de Waddington a découvert les restes d’une habitation reconstruite trois fois en 150 ans.

    Cette cabane, l’une des premières à attester un mode de vie sédentaire au Royaume-­Uni, date d’environ 7900 av. J.­C.
    Waddington voit dans son occupation répétée le signe d’un attachement croissant au territoire : les autochtones défendaient leurs foyers contre les vagues de réfugiés du Doggerland.

    « Nous savons quelle importance avaient les zones de pêche pour la subsistance de ces gens, explique Anders Fischer, archéologue à l’Agence danoise pour la culture. Si chaque génération voyait disparaître ses meilleures zones de pêche, il lui fallait en trouver de nouvelles, ce qui devait souvent causer des rivalités avec les groupes environnants. Dans des sociétés à la faible complexité sociale, où aucune autorité n’existait pour gérer les conflits, cela finissait probable­ ment dans la violence. »

    Il arriva cependant un moment où la mer épuisa la capacité de survie des habitants du Doggerland.

    Il y a quelque 8 200 ans, après des millénaires de montée progressive des océans, une libération massive d’eau d’un lac glaciaire géant d’Amérique du Nord, le lac Agassiz, engendra un bond du niveau des mers de plus de 60 cm.

    En ralentissant la circulation d’eau chaude dans l’Atlantique Nord, cet afflux d’eau glacée causa un brusque plongeon de la température. Des vents glacials battirent les côtes du Doggerland – s’il en restait.

    Vers la même époque, un glisse­ ment de terrain survint sur un fond marin, au large de la côte norvégienne. Ce « glissement de Storegga » provoqua un tsunami, qui inonda les littoraux de l’Europe du Nord.

    Puis, voilà environ 6 000 ans, un nouveau peuple venu du Sud débarqua sur les rivages très boisés des îles Britanniques. Il arriva à bord de bateaux, avec des ovins, du bétail et des céréales. Aujourd’hui, les descendants de ces premiers fermiers du Néolithique, quoique dotés de moyens bien plus avancés, voient à nouveau se profiler la menace d’une montée des eaux.

     Laura Spinney 

     

    Une carte plutôt parlante :

    western-europe-in-16000-bc.jpg

    et une carte des fonds marins qui montre bien le plateau et la vraisemblance d'un continent englouti :

    Carte_des_fonds_océanqiues_de_l_Atlantique_Nord.jpg

    A la lecture de ce passionnant article, on ne me retirera pas de la tête ce que je pressentais déjà. -8000 ans, on est pas loin des -12000 ans qui ont vu la Terre se métamorphoser après quelques cataclysmes.

    On peut logiquement se reposer la question de l'Atlantide, même si la terre immergée était peut-être plus une zone de forêt que le centre d'une civilisation en avance... et également Thulée, et l'Hyperborée...

    On relira Robert Howard avec plaisir et le sentiment que tout était déjà écrit là... Conan et Kull.

    Ou alors on va continuer de croire que ce sont les particules fines, les feux de cheminée et les diesels à Paris, le tri sélectif pas bien fait qui font modifier la planète. Il suffit de payer une taxe carbone et de respirer une fois sur deux pour sauver la planète.
    J'ai vu cette carte sur internet pour illustrer le Doggerland :

    dTocCxd.jpg

    On remarquera que le profil de la côte française reste le même que l'actuel. L'infographiste responsable de cette carte n'a pas de vision globale et est resté un peu paresseux pour le coup. C'est l'état d'esprit actuel, en fait. Pas de vision globale des choses. J'imagine que si c'est un Français qui a réalisé la carte, il a dû défiler en janvier en s'estimant "être Charlie".