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Aventures

  • Sept cavaliers - Jean Raspail

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    "Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée". C'est ainsi que commence et termine ce livre de Jean Raspail. Dans un royaume imaginaire, à une époque mal définie, sept soldats quittent une ville à moitié abandonnée et chevauchent, presque sans but. Sans espoir.

    L'espoir, c'est le maître mot du livre. La Ville, capitale du margrave, n'est plus qu'une illusion fantoche, dans une réalité violente, où l'ordre n'existe plus que dans les derniers quartiers du patriarche. Ce dernier charge un lieutenant colonel d'aller voir ce qui se passe aux confins du royaume. Car ici, c'est la fin. La décadence, la dégénérescence complète. L'ordre a cessé. Plus rien n'est assuré. Les gens sont partis. Les jeunes sont sous l'influence de drogues.
    Le lieutenant colonel, Silve de Pikkendorff mobilise six hommes et ils quittent la Ville à cheval, pour chercher l'espoir, dans un monde de désespoir. Confrontée à la violence des pillards, les peuples séditieux, les ruines des villes jadis florissantes, la troupe va s'égrener lentement dans un voyage où personne ne compte les jours de la même manière, mais qui semble durer une éternité. A la dernière station de ce purgatoire, cette éternité devient réalité, une réalité de désespoir pour ceux qui la rencontrent.
    Entre temps, ceux qui espèrent ont quitté la troupe, laissant les autres dans leur voyage éternel.

    Voilà un livre qui semble désabusé, surtout dans sa toute fin. La margravie est un royaume inventé, qu'on placerait à l'Est de l'Europe, le nom de "margrave" venant du germain "mark graff", le comté de la frontière, de la marche. Marche de l'Europe germanique, qu'on imagine celle de l'Empire austro-hongrois, et les aventures de ces soldats pourraient débuter... en Ukraine actuelle, porte vers les tribus tchétchènes anciennement pacifiées et intégrées, porte vers les déserts du sud, porte vers les forêts du Nord.
    Quant à l'époque, les cavaliers aux beaux uniformes nous rappellent les uniformes du XIXème siècle, héritages napoléoniens, mais les chemins de fer existent, et les premières mitrailleuses également. On pourrait alors estimer à 1850 cette période du roman.

    Jean Raspail évoque un Empire au passé flamboyant mais tombé en pleine décadence, en pleine dégénérescence où l'Ordre n'existe plus pour la population, livrée à ses bas instincts. Un Empire qui s'écroule, dévasté par une guerre interne, mais à ses confins, la vie continue, et un nouvel ordre nait, les anciens royaumes reprennent vie.
    L'espoir, c'est là où l'Empire s'est écroulé, la jeunesse ne va pas reconstruire les reliefs du passé, mais va simplement construire quelque chose de nouveau.
    Les soldats, de tous âges, du cadet de 16 ans au vétéran qui a combattu il y a trente ans auprès du soldat poète devenu référence pour tout le monde, constatent la destruction et la désolation. Les plus anciens chercheront les fantômes, les plus jeunes deviendront les nouveaux seigneurs.

  • Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson

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    Attention, voici un bouquin indispensable !!! A lire absolument !!

    Sylvain Tesson est un aventurier moderne, qui part aux quatre coins du globe, souvent assez vite, en vélo, en courant, à fond les ballons, de peur de ne pas avoir traversé une route quelque part au Pérou, avant de mourir. A la suite d'une aventure précédente, où il avait partagé le gîte de Sibériens sur le lac Baïkal, l'auteur a décidé de venir se poser quelques temps, de vivre l'aventure d'un ermite, le temps d'une saison. Défi à mettre à côté de celui d'escalader l'Himalaya, a priori. Survivre au froid, aux ours, et aux glaces.

    Et pourtant, c'est un autre défi que vient de se lancer l'écrivain aventurier. Ce n'est pas la performance, mais c'est le défi de se poser, de réfléchir, et de se retrouver. Se rencontrer même, avant de se retrouver. C'est pas en cavalant dans le Gobi qu'on sait qui on est. On sait qu'on a couru et perdu 14,5 litres de sueur dans la journée. La cabane au bord du lac Baïkal, c'est pas pareil.

    Rester six mois au même endroit. Voir la saison passer, la nature changer, et occuper son temps. Un défi qui semble impensable pour beaucoup, notamment les bourgeois poudrés parisiens, qui ont eu l'air de voir dans cette aventure un défi contre l'ennui, contre l'absence matérielle et matérialiste, et l'inconfort. Ces journalistes voient certainement la Sibérie comme très lointaine, loin de leur confort, mais avouons-le, l'auteur n'aurait presque pas eu à quitter le territoire français pour vivre aventure similaire. J'exagère à peine. Mais l'éloignement est un moteur permettant cet exil, cet ermitage pour l'auteur, qui avoue aussi apprécier son confort parisien.

    Mais cet ermitage a permis de faire cogiter l'aventurier. C'est le plus intéressant du bouquin. La solitude qui fait gamberger, la nature rude mais généreuse qui fait relativiser l'existence matérialiste de l'Occidental du XXIème siècle.
    En vivant au contact de la nature, et de ses habitants, du règne animal ou humains, Sylvain Tesson redevient un homme, et plus un athlète à la recherche de la performance. Quand il va croiser des semblables, avec plus ou moins de classe, riches Russes en 4x4 qui traversent le lac gelé dans un safari ponctué de vodka et de techno music, ou world travellers écolos, il n'est déjà plus comme eux. Ils passent, lui vit ici. Il puise de la terre sa substance pour s'en nourrir, pour se chauffer.

    Et il pense. Il pense à ce qu'il est à Paris, et ce qu'il est ici. Et où l'Homme se situe.

    Extraits :
    "Le bonheur d’avoir dans son assiette le poisson qu’on a pêché, dans sa tasse l’eau qu’on a tirée et dans son poêle le bois qu’on a fendu : l’ermite puise à la source. La chair, l’eau et le bois sont encore frémissants. Je me souviens de mes journées dans la ville. Le soir, je descendais faire les courses. Je déambulais entre les étals du supermarché. D’un geste morne, je saisissais le produit et le jetais dans le caddie : nous sommes devenus les chasseurs-cueilleurs d’un monde dénaturé.
    En ville, le libéral, le gauchiste, le révolutionnaire et le grand bourgeois paient leur pain, leur essence et leurs taxes. L’ermite, lui, ne demande ni ne donne rien à l’État. Il s’enfouit dans les bois, en tire subsistance. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement.
    Devenir un manque à gagner devrait constituer l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et de myrtilles cueillies dans la forêt est plus anti-étatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs. Les dynamiteurs de la citadelle ont besoin de la citadelle.
    Ils sont contre l’État au sens où ils s’y appuient.
    Walt Whitman : « je n’ai rien à voir avec ce système, pas même assez pour m’y opposer. » En ce jour d’octobre où je découvris les Feuilles d’herbe du vieux Walt, il y a cinq ans, je ne savais pas que cette lecture me mènerait en cabane. Il est dangereux d’ouvrir un livre."

    "Il faudrait lui expliquer que ces mouvements sont des manifestations de colère sociale et que l'origine ethnique de leurs acteurs, si elle impressionne les Russes, n'est pas évoquée par les commentateurs français. Il faudrait lui dire qu'il ne s'agit pas de révolution. Ces troubles à l'ordre public ne visent pas à renverser le monde bourgeois mais à y accéder. Entend-on les jeunes réclamer liberté, puissance et gloire ? Pourquoi brûle-t-on les voitures dans ces couronnes de misère ? Pour critiquer les ravages de la technique et du marché sur les sociétés ou par dépit de ne pas posséder les plus belles et les plus grosses d'entre elles ?"

    "Je pousse la porte de la cabane. En Russie, le formica triomphe. Soixante-dix ans de matérialisme historique ont anéanti tout sens esthétique chez le Russe. D'où vient le mauvais goût ? Pourquoi y a-t-il du lino plutôt que rien ? Comment le kitch s'est-il emparé du monde ? La ruée des peuples vers le laid fut le principal phénomène de la mondialisation. Pour s'en convaincre, il suffit de circuler dans une ville chinoise, d'observer les nouveaux codes de décoration de La Poste française ou la tenue des touristes. Le mauvais goût est le dénominateur commun de l'humanité."

    "En Russie, pour signifier qu'on s'en fout, on dit "mnie po figou". Et on appelle "pofigisme" l'accueil résigné de toute chose. Les Russes se vantent d'opposer leur pofigisme intérieur aux convulsions de l'Histoire, aux soubresauts du climat, à la vilenie de leurs chefs. Le pofigisme n'emprunte ni à la résignation des stoïciens ni au détachement des bouddhistes. Il n'ambitionne pas de mener l'homme à la vertu sénéquienne ni de dispenser des mérites karmiques. Les Russes demandent simplement qu'on les laisse vider une bouteille aujourd'hui parce que demain sera pire qu'hier. Le pofigisme est un état de passivité intérieure corrigée par une force vitale. Le profond mépris envers toute espérance n'empêche pas le pofigiste de rafler le plus de saveurs possible à la journée qui passe. Le soir constitue son horizon limite."

    La plongée dans l'univers russe est une part importante de l'ermitage, une autre manière de penser, que l'auteur résume bien avec le "pofigisme". Une révélation identitaire, en quelque sorte.

    Parlons d'identité. L'identité européenne, étendue jusqu'à la Russie sibérienne, que Tesson retrouve, mais n'exprime pas toujours clairement. Quand un de ses interlocuteurs russes s'étonne de voir qu'en France, des émeutiers arabes mettent à feu les villes, il émet une critique intelligente, sociale (voir plus haut) de la situation et de ses tenants, mais il réfute la question ethnique, pourtant évidente pour un Russe. Okay, le Russe pense peut-être que toute la France était concernée par ces émeutes, jusqu'au moindre village, ce qui est bien évidemment faux, savamment manipulé par les médias. Mais l'évidence reste l'évidence. Aussi, soit Tesson, pétri des bons sentiments institutionnalisés, rate un épisode, une des clés de son aventure, soit il préfère éluder la question et protéger son statut (on sait ce qu'il en coûte à ceux qui s'écartent du chemin !).

    Il ne fait pas le lien entre la laideur imposée par la mondialisation, et les émeutes, le désir d'accéder à la bourgeoisie. Enfin... il ne le fait pas directement. Mais tout le livre est un appel à la beauté de la nature, et de la simplicité de l'être vivant au cœur de cette nature, en même temps que l'élévation, la transcendance de l'homme, qui trouve sa place, et son rôle. L'inverse de la vie hyper urbaine, déculturée, aculturée, ultra matérialiste, assistée, malsaine, qui régit l'Occident décadent.
    Impossible pour l'auteur d'employer le terme de décadence, mais pourtant elle est évidente quand on le lit.

    J'ai pensé à Henri Vincenot en lisant dans les forêts de Sibérie. Quand l'auteur bourguignon quittait sa campagne pour affronter l'horreur de la capitale, lui qui venait d'un environnement sain, il était confronté au dérèglement, à la dépression (lire A Rebrousse-poil et les Yeux en face des trous pour s'en convaincre !). Tesson fait l'inverse. Il vient du pandemonium pour retrouver l'ordre naturel. Et tous deux ont la même conclusion.

    Pour qui ne voudrait pas se poser cette question, le livre reste intéressant, et très bien écrit. Un journal, jour après jour, de la vie d'ermite, qui apprend à rythmer ses journées, à profiter de tout, accepter tout, et vivre. Vivre, même quand ce n'est pas dévaler des déserts à vélo, mais simplement regarder des mésanges manger des miettes de main sur un rebord de fenêtre. Chaque page du livre est un régal, entre poésie, aphorismes et philosophie, on réfléchit beaucoup en lisant ce journal. Et on réfléchit à soi.

    J'ai regardé sur internet quelques interviews de l'auteur à la sortie du livre en 2011, résumant son aventure. Il est amusant de sentir le décalage entre l'auteur qui prend son temps pour raconter son périple, en paix avec lui-même, et une sorte d'incompréhension de ses interlocuteurs, pas dans le même rythme. La palme va à l'émission de Ruquier où une grue, ancienne favorite d'un futur ex-ministre, maintenant disparue des radars, semblait horrifiée par ce que l'auteur avait vécu, en gros, la peur de tomber nez à nez avec une grosse bête à chaque fois que le mec sortait de la cabane, entre deux coups de pelle pour chasser les mètres de neige tombés dans la nuit. Une lecture assez cocasse, car moi je n'ai absolument jamais ressenti de danger dans ce que Sylvain Tesson a vécu. La prudence face aux ours a toujours suffi à préserver sa vie. Le danger serait plus venu des hommes, à mon avis, que des bêtes. Enfin, drôle d'interprétation de la part d'une féministe acharnée qui finalement, ne fait qu'exprimer un stéréotype génétique féminin, une féministe de salon ayant peur de salir ses chaussures. On pensera plutôt à Lena qui éloigne les loups en leur jetant des cailloux, soutenue par ses vaches et son bœuf, venus à son secours. La chroniqueuse mondaine, les loups l'auraient recrachée après avoir eu une indigestion.

    Malgré les conditions un tantinet spartiates du séjour, reconnaissons-le, l'auteur n'est pas arrivé sans technologie. Ordi portable, téléphone satellite, la moitié du matos n'a pas tenu le choc, mais il a filmé cette aventure. Et un film en est né, un très bon complément au livre. A voir absolument, mais surtout... à lire absolument !!!

     

     

     

  • Oro - Cizia Zykë

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    Impressionnant Cizia Zykë, quand il apparait sur le plateau de Pivot, dans Apostrophes en 1985. Malgré un ton timide, on a du mal à passer à côté de son physique de méchant de film d'action des années 80. D'ailleurs, dans Oro, il est un bad guy à sa manière. En fait, c'est le Bennett de Commando. Il n'est pas mort, il a buté John Matrix entre les couilles, comme il lui avait promis, et il est parti en Amérique du Sud. Un nez cassé, une moustache virile, une chemise ouverte sur pépite montée en pendentif, une paire de bottes et un gros flingue. Et Zykë s'en sert, de son flingue. Il éloigne les importuns, calme les esprits et les arnaqueurs avec son gros calibre...

    Oro est le premier livre de Zykë, une sorte d'autobiographie sur ses aventures au Costa Rica, qui lui vaudra une lettre assez remontée de son ambassadeur en France, qui n'aime pas trop qu'on soit insultant envers son pays, ou un peu trop franc, c'est selon.
    Pour résumer l'histoire, Zykë, après avoir bourlingué, et traficoté dans la vente d'objets pré-colombiens (cherchés à la source, dans les sites et cimetières antiques), débarque avec sa copine en plein Costa Rica, pour tenter l'aventure de l'or. Adieu la belle vie, la mort prématurée de leur enfant les a obligés à changer d'air. Pas de bol, ils arrivent dans un bidonville, un monde de boue, d'alcool à brûler que les Ticos boivent comme du café, le bas de l'échelle du sous-prolétaire qui n'a rien et va se contenter de quelques paillettes d'or pour se payer de l'alcool... Un environnement dégénéré où Zykë est plus malin que les autres, forcément, et il va gravir les échelons, comme il gravit la montagne, pour finalement avoir sa propre concession, ses hommes, ses machines, ses bâtiments, tout ça géré à la baguette et au 357 magnum. Zykë n'éprouve aucune compassion pour les hommes et les femmes du cru. Il finira par renvoyer sa femme, pour lui épargner un univers trop sauvage (la jungle dont il sortira à moitié mort), et ne s'encombrera de conquêtes que le temps de les sauter et les enculer, pour mieux revenir à son but : faire fortune avec l'or. Une fortune dont il ne verra pas grand chose au final, enculé à son tour par des promoteurs véreux.
    Pourtant, si Zykë boit des limonades sur sa chaise en regardant bosser ses hommes, à leur tirer au-dessus de la tête quand ils ralentissent le rythme, et fume des pétards toute la journée, il reste un bad guy doué d'un certain sens de l'honneur. Et de la classe. L'argent, quand il en a, il le partage, ou il le dépense en casino et autres jeux. Il paye ses hommes, il soudoie du flic véreux pour s'assurer une aide future, ou pour dépanner un ami qui n'avait pourtant pas écouté ses conseils, chopé aux douanes avec de la drogue... et même envers ses ennemis, il reste généreux. Mais quand ceux-ci le trahissent, il leur fait passer le goût du couscous. Il canarde la maison de son voisin, tue ses porcs et les offre à bouffer à ses hommes...
    Mais tout de même, il ne bute personne. Allons bon. Zykë, s'il exagère ou romance des passages de son aventure, fait bien l'impasse sur des meurtres de sang froid... Même s'il a dû tuer pour se défendre, il est sûr qu'il l'a fait, et pas qu'une fois. Le Costa Rica des chercheurs d'or, c'est un enfer vert ponctué d'étincelles. Zykë répondait "on ne pose pas ce genre de question" à Pivot quand celui-ci lui demandait s'il avait tué. Une réponse qui en dit long...
    De Kersauson, sur le même plateau, ne la ramène pas trop quand on lui demande son avis. Il a senti de quelle eau est fait l'homme en face de lui...

    Oro, c'est l'aventure. Une plongée immersive dans l'aventure du chercheur d'or, dans la jungle, la boue, les moustiques. On s'y sent poisseux, rongé par la chiasse et l'humidité. Un carnet de bord au style nerveux, direct, sans concession, et pas dénué d'humour. L'aventure, ouais.

    L'interview de Zyke chez Pivot :

     

    Au hasard d'un vide-grenier, je suis tombé sur une adaptation bédé d'Oro, de 1992, en un tome, le suivant n'a je crois jamais été édité. L'histoire s'arrête au milieu d'Oro. Le style est assez crade, Zykë est ressemblant, et la laideur des Ticos, de la jungle est bien restranscrite. Assez anecdotique, il vaut mieux se concentrer sur le livre, plus complet, évidemment.

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