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Enjoy the Violence - Sam Guillerand & Jérémie Grima

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Ah !! Un livre qui s’intéresse enfin à la scène française ! Après les scènes suédoise, anglaise, finlandaise, il était temps !

Mais attention. Quand il s’agit de mon terroir, je suis prudent. Chauvinisme oblige, et las de la production française, je regarde plusieurs choses avant de m’emballer. D’une part, l’éditeur. Non pas que ce soit déterminant, mais ça en dit assez long sur la qualité de l’ouvrage et évidemment, de son rendu final. A savoir si la reprographie à pas cher rend suffisamment sur les photos, et si les pages ne vont pas me rester dans les doigts. De deuze, l’auteur. Parce que l’expérience a montré que les bouquins écrits par des curés ou des sociologues, c’est de la merde, et ce n’est même pas à destination des fans de musique. Du coup là, s’approprier ce qui m’appartient d’une certaine manière, va pas falloir déconner, je ne laisserai rien passer !

Zone 52. Okay, les avertis apprécieront le clin d’œil. La boite ne me dit rien, attendons de voir. L’auteur. Non, les auteurs, y en a 2. Jérémie Grima, qui a déjà fait la bio de Supuration, okay, bonne réf, ça s’annonce bien. Sam Guillerand. Ah ! banco ! Je connais le bonhomme, j’avais même participé à l’un de ses précédents ouvrages (« Explosions textiles - mon premier tshirt de groupe », vous n’avez qu’à chercher). Je suis éminemment rassuré sur le contenu, sans avoir ouvert le bouquin. Bon en fait, je savais avant que le bouquin ne sorte qui bossait sur ce projet.
Enfin, tout ça pour dire que l’équipe est validée.

Il ne nous reste désormais qu’à lire le bouquin et en faire la critique après l’avoir apprécié.
Déjà, c’est putain de lourd. Le format A4 pour 388 pages pèse son poids, et il est assez bizarrement réparti, ce qui a pour effet de bien se ressentir sur les bras, et en position couchée, le point d’appui du livre sur le sternum, ça fait mal ! Pouvaient pas sortir un ebook ces cons là ??
On a donc de la matière. Et, à l’instar du Devil’s Cradle, les auteurs expliquent dans un avant-propos que ce n’est pas une anthologie, mais une interprétation de la scène, car il y a des manques. Entre musiciens, personnalités disparues, groupes qui ne répondent pas à l’appel, l’exhaustivité est impossible. Ou alors à doubler le nombre de pages, doubler le temps de travail, le bouquin ne sortirait jamais. Sans compter que certains groupes interviewés… n’ont pas grand chose à dire. Déjà qu’à l’époque… mais bref, j’y reviendrai.

Enjoy the Violence (nom emprunté à un album de Massacra, le groupe le plus emblématique et populaire du genre, sorti de France sur cette séquence) se veut une « histoire orale des origines de la scène Thrash/Death en France ». Forcément, des groupes comme Sortilège, ADX seront évoqués au cours du livre (comment faire autrement ?), mais ils n’en seront pas le socle et le sujet. On parle bien de la scène Thrash, (qui a vite mené à la scène Death), grosso modo à partir de 1985, jusqu’à son apothéose, et son déclin en 1995 environ. Soit une séquence de 10 ans, qui a vu une explosion en termes d’intérêt, de musiciens, d’état d’esprit, de ventes, d’exposition…

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Résumer le livre sur les groupes interviewés au cas par cas, n’aurait pas grand intérêt. Je me contenterai de dire que les gros groupes, les principaux acteurs sont représentés. Loudblast, Agressor, Supuration, Mercyless, Crusher, Morsüre, Mutilated, Death Power,  et même Massacra. Oui Massacra, alors que leur refus d’évoquer le passé est notoire, même si Tristani semblait okay… Les auteurs ne pouvant occulter le groupe pourront quand même intégrer une interview, qui sera en fait la traduction en français de l’interview qui se trouve dans les rééditions vinyl des albums du groupe, sorties récemment chez Century Media. Annoncé clairement, avec les regrets que ce ne soit pas une interview originale, les auteurs s’en tirent avec panache. On sent les vrais fans qui ont tout fait pour proposer quelque chose de solide. Je n’en attendais rien de moins.

Suivent alors des interviews de groupes secondaires, plus ou moins marquants, à la longévité relative. Asshole, Shud, Witches, Aggressive Agricultor, Execution… à boire et à manger (et notamment des groupes qui ont très très mal vieilli. La compil Total Virulence est à la limite de la torture !

Le livre portant sur la scène, ils ne se cantonnent pas aux groupes, mais on trouvera également des entretiens en profondeur avec des fanzines, comme Decibel of Death, Decibels Storm, Possessed by Speed, des journalistes comme Phil Pestilence, Hervé Guégano, des labels, bien entendu Semetery Recs, Jungle Hop, des artistes comme Denis Grrr, Stefan Thanneur et forcément Chris Moyen, incontournable de l’époque et d’aujourd’hui, qui a signé l’illustration de couverture.
L’étude est complète avec quelques acteurs plus récents qui prennent la relève d’une certaine manière. On notera l’inclusion d’un article sur les zines français, (faussement) modestement appelé « tentative d’historique du fanzinat Metal français », provenant d’un zine antérieur au livre et mis à profit ici. On sent la différence avec le livre et on se contentera de suivre l’historique et les noms de zine, sans trop s’attacher aux analyses de son auteur.

Le layout du bouquin est fourni. Ouais, y a de la photo d’époque, de la pochette d’album, du flyer de concert, du montage, on échappe à la mise en page sobre et liminaire de maisons d’édition plutôt pingres. La documentation iconographique est riche et cela rend la lecture très appréciable.

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Les interviews les plus intéressantes sont celles des gros groupes. Elles s’étalent sur plusieurs pages, au cours de plusieurs entretiens, même. Et c’est du bonheur. On se replonge dans l’époque, on comprend mieux certaines choses, le son tout pourri des premiers albums alors que les démos sonnaient mieux, la difficulté de trouver des plans, mais aussi la facilité d’en trouver d’autres, qui semblent aujourd’hui surréalistes. En fait, pour un groupe de Thrash Metal, il était plus facile de jouer dans un concert genre festival régional avec des groupes de bourrée ou de rock/pop qu’à des rassemblements de metalheads, tout simplement parce que réunir 500 fans de Metal (autrement que des fans de Motley Crue ou Iron Maiden) tenait de l’utopie. Bon okay, ça pourrait presque être la même situation aujourd’hui, mais il y a 10 concerts de Metal par mois, c’est la différence.  Et si la scène s’est construite, c’est parce que tout le monde se connaissait. Le style étant suffisamment rare, les contacts courrier, voire fortuits (Loudblast qui rencontre Agressor parce qu’ils étaient garés juste à côté sur un parking et la zique dans la bagnole les a interpellés) se faisaient entre acteurs essentiellement.
Il est intéressant également de lire ces interviews car ces groupes, Loudblast, Mercyless, Agressor, ont amorcé le style en France, ont en vécu sa gloire, mais également son déclin, et restent encore actifs, avec plus ou moins de succès aujourd’hui. Mercyless reste d’ailleurs l’exception parmi ces groupes, d’être meilleur maintenant, quasiment.
Les groupes plus modestes, ceux dont l’existence aura été plus courte, ont eux moins de choses à dire. Des anecdotes se recoupent, voire se contredisent, selon les témoins, mais les expériences sont souvent de la redite, voire de l’invention quand il faut essayer de se rappeler de quelque chose…
Moins intéressants, ils restent néanmoins un témoignage obligatoire pour l’objet du livre.

Plus intéressants que les témoignages de groupes qui ont sorti 2 démos et joué avec Loudblast (ils ont tous partagé l’affiche avec Loudblast), les entretiens avec Semetery Records, Decibel of Death, Phil Pestilence. Un label, un zine, un journaliste. L’autre face de la scène. Pour Pestilence, comme pour Guegano, et même pour Stéphane Girard de Semetery, le passage dans la scène a été une suite d’expériences, de changement de job, de contacts, de tentatives, qui ont créé le socle et mené à l’explosion, mais sur dix ans, ils ont dû être payés seulement de quelques mois de salaire.

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Je vais maintenant tirer quelques conclusions et analyser ce qui ressort du livre. Ca peut relever de la supposition, mais baste, voici comment je vois les choses.

La première chose qui ressort, c’est que les mecs de Loudblast sont super cools. Que tout le monde cite un album du groupe dans son top 3 en fin d’interview. Mais que curieusement, personne n’aime vraiment. Beaucoup de groupes disent que c’était pas trop leur came… Amusante contradiction. Loudblast étant le groupe phare, qui a réussi à monter et créer un truc auprès des médias, des labels, forcément ça a été le grand frère qui a ouvert la voie, et dont il fallait suivre le sillage. Mais musicalement, Massacra c’était mieux, quoi.

Et il y a cette explosion de groupes, bien supérieure à celle du Heavy, un peu moins de dix ans auparavant. Admettons qu’acheter une guitare était plus facile en 1987 qu’en 1981, que le style était plus répandu en France. Mais, est-ce que tous ces musiciens venaient principalement de la scène Metal ? Le Thrash étant le croisement du punk (voire H/C) et du Metal, les styles étaient poreux, mais pas tant que ça. Si Motley tirait son attirail du punk glam façon New York Dolls de 75, le punk de 84 était largement différent et ça se bastonnait plutôt entre punk/core et métalleux… Mais l’époque était différente d’aujourd’hui, et les relations humaines étaient autre chose. Bordel ça ne fait que 30-35 ans quand on y repense, c’est fou.
En tout cas, au niveau des labels, l’origine c’est le punk/Hardcore. Jungle Hop, Thrash Records, ils viennent de là. Grâce leur en soit rendue ! C’est amusant de constater qu’il n’y ait pas eu de label français purement Metal (bon là je dis peut-être une connerie, parce que de mémoire je n’en vois pas…) qui ait profité de l’occasion. Semetery était une division de Fnac musique, okay, mais bon Fnac, quoi.
Il faut tout de même considérer que c’est aussi le début de l’underground vraiment Metal. L’underground est plus punk à la base, mais au niveau du Metal, en France, j’ai pas l’impression qu’il y ait eu grand chose avant ce moment. C’est là que l’interview de Laurent Ramadier de Decibel of Death prend son importance, car lui, c’est le fan, qui a sillonné l’UG mondial pour se fournir en démos, faire son zine, collecter quasiment tout, avec divers correspondants qui sont devenus légendaires depuis, aux quatre coins du monde. Il est l’exemple parfait du démarrage de l’UG français, parti de la scène Thrash, pour aller rejoindre le Death Metal, Grind Core, et après le Black Metal, mais ceci est une autre histoire, comme dirait l’autre.

Et, à la lecture du livre, et en prenant un peu de recul, il y a deux choses qui m’ont fait réfléchir. La scène française Thrash/Death Metal a eu son apogée et un déclin très rapide, vers 1994 dirons-nous (okay, mondialement parlant, à partir de 1994, les meilleurs albums avaient déjà paru et ça a baissé rapidement après). La scène Black Metal pointait son nez depuis 1993 et a pris le pas sur cette scène. Et il n’y a pas eu de porosité (ou très peu) entre les deux scènes. Les acteurs Thrash/Death ne sont pas les acteurs du Black Metal. Cela s’explique par l’aspect sulfureux et peu fréquentable véhiculé par la vague Black Metal, à l’opposé on dirait de l’état d’esprit Thrash/Death (les scènes Thrash et Death sont liées, l’un a souvent été la suite logique de l’autre pour les mêmes groupes). Changement de génération parfois, mais surtout changement d’état d’esprit. Oui, le Thrash/Death tire ses origines d’une autre époque, plus « socialisante » et d’entraide, héritée des idéaux punk H/C, du skate, et même végétariennes (il suffit de voir le nombre d’acteurs qui se déclaraient déjà végétariens à ce moment là). Le Black Metal ne partage aucune de ces valeurs. Conceptuellement, musicalement. Au final, il y a une sorte de libéralisme du Black Metal, très anglo-saxon avouons-le, qui a changé la scène, à la fois les groupes, et à la fois le public. Essayez voir d’aller au devant d’un mec avec un tshirt de Metal dans la rue, le gars va vous regarder comme un débile, il n’y a plus (quasiment plus) cette notion de reconnaissance qu’il a pu y avoir durant la séquence qui nous intéresse ici. C’est donc une autre histoire.

La deuxième chose, et là elle me parle plus personnellement, c’est de constater la courte durée de ce phénomène, dix ans en gros, et l’aspect création. Je prends les exemples de Phil Pestilence et Stéphane Girard : ils ont fait monter la sauce par leurs activités, développé la scène, avec un label, avec des articles, mais Pestilence était également manager, enfin ces mecs étaient pluri-activités. A peu près au moment, vers 1995, ils ont tout lâché, et sont partis dans des directions largement opposées quelques années après. L’un bosse pour l’Equipe comme correspondant en Thaïlande, l’autre bosse dans le show business, sur Star Academy. Trajectoires complètement divergentes, pas immédiates certes, mais on est loin de l’effervescence aux démos de Massacra. Massacra, même, les membres n’ont pas remonté d'autre groupe (Tristani avait bossé pour Century Media après la fin du groupe).
En exagérant un brin, leurs carrières ont duré dix ans avant de claquer la porte et partir sans se retourner. Et je parle d’acteurs majeurs. Loudblast, Agressor, ont continué et perduré dans la scène, avec plus ou moins de succès, mais aujourd’hui, les groupes existent encore.
Comment prendre ces choix ? Moi-même, j’ai un label UG depuis bientôt vingt ans. Des labels plus importants ont quasiment trente ans, alors, la question qui m’intrigue est : quelle est la vraie durée de vie en tant qu’acteur ? Est-ce que tout est dit en dix ans, et que le principe créatif a été réalisé et on part sans se retourner ? Quand on voit ce travail, a posteriori des labels, journalistes, personnes ressources, groupes, leur influence a été décisive au moment, et encore bien après, mais eux, ont tourné la page.
Alors, est-ce que rester depuis vingt ans, c’est s’acharner, s’échiner et construire sur la longue durée, ou est-ce une erreur ? Que tout doit sortir en quelques années et baste, on passe à totalement autre chose ? Ou finalement ne rester dix ans ça n’est qu’un passage et il valait mieux qu’ils se tirent avant de risquer de tout dévoyer ?
Voilà une question métaphysique qui m’interroge, vous l’aurez compris. Je vois mon action sur une plus longue durée, pour quelque chose qui a une signification pour moi.

Au delà de cette question purement personnelle, et pour en revenir au livre, la lecture est très plaisante. Son lot d’anecdotes, de personnages, de noms (j’en ai retrouvé certains encore en activité aujourd’hui,  j’ignorais leur longévité !), cette carotte géologique d’une autre époque, totalement révolue aujourd’hui, des flyers, des coups de fil aux factures inimaginables… mais qui nous parlera à tous, à des degrés divers : ceux qui ont été là pendant ces heures décisives, ceux qui ont vécu la fin du mouvement, ceux qui sont arrivés après…
Pour ma part, je suis arrivé là dedans sur la fin, ou la transformation de la scène. Après 1993, les groupes majeurs changeaient de style. Des albums CDs étaient sortis. Des kyrielles de nouveaux groupes émergeaient, et les flyers volaient comme des fleurs de cerisier au printemps. C’était pour moi le moment d’une découverte de toute une scène, qui me semblait plus abordable que les groupes classiques, et dans un style que j’affectionnais. Difficile donc de lire le livre sans une certaine nostalgie, un plaisir à retrouver des groupes, des histoires, dont on sait enfin le fin mot, ou alors avec un sourire un poil dédaigneux devant certains propos qui ne tromperont que les plus jeunes et moins avertis.

Au final, Enjoy the Violence est LE livre définitif sur la scène Thrash/Death française. Il doit rester comme une référence sur le sujet.

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