Nous entrons dans une phase où le Metal dit « extrême » s’est imposé dans la durée et forcément, chaque pays a son histoire, et son bouquin sur sa scène, spécifique. Swedish Death Metal pour la Suède, Choosing Death pour l’Angleterre, un fichier PDF d’une page pour le Luxembourg, Enjoy the Violence pour la France…
On va s’intéresser aujourd’hui à la Finlande, avec The Devil’s Cradle, qui en fait, n’est pas une rétrospective semi-exhaustive de la scène, mais une sélection de groupes, autour d’une progression chronologique et même idéologique, définie par l’auteur, Tero Ikäheimonen, qu’on se permettra d’appeler par son prénom, pour faciliter la rédaction de cette chronique…
Le livre s’articule en quatre grands chapitres : The Opening Chords, Explosion, A new Beginning et Gnosis, comme quatre périodes qui ont marqué la scène finlandaise, avec son lot de groupes, et là, contrairement à Swedish Death Metal ou Enjoy the Violence, c’est pluri-générationnel. On va croiser Mikka Luttinen d’Impaled Nazarene, et plus tard dans le livre, le mec de Cosmic Church, sur des périodes séparées de quinze ans bien tassées.
Il est vrai qu’aux débuts de la scène extrême, il n’y avait pas beaucoup de groupes en Finlande, et réaliser un livre spécifiquement sur ces groupes, aurait été, si ce n’est un travail difficile, du moins un bouquin peu épais (ici on est à 555 pages !). De plus, l’auteur, Tero, ne s’intéresse qu’au Metal extrême et Black Metal. On oubliera donc les Hanoï Rocks, Waltari et autres Funebre ou Xysma.
Dans la première partie, on aura donc des interviews, sans surprise, de Beherit, Impaled Nazarene, Archgoat et Barathrum. Pour aller à l’essentiel, j’ai trouvé cette partie la meilleure, car elle est la plus intéressante au niveau des anecdotes, et faut dire, c’est la grande Histoire du Black Metal finlandais. En plus de faire revivre les premiers émois des groupes du cru, ça nous replace dans un contexte historique, et sociologique, pour ne pas dire de civilisation de ce que sont les Finlandais.
Oui, avant tout, il faut replacer le contexte. On parle de la Finlande, ici. Un pays à part, et pas si proche de son voisin suédois. Dans ce livre, on goûte le flegme, l’humour et cette forme de spleen propre à la Finlande. Tout est à la fois sérieux, drôle, chiant, et jouissif. Tout ça dans un même mouvement de sourcil.
C’est d’ailleurs ce qui peut représenter un inconvénient dans ce livre. C’est assez sérieux, tout en restant distant, enfin sans second degré. L’auteur intercale des articles en lien avec la scène, qu’ils soient géographiques (une ville comme centre de rassemblement de musiciens et de groupes) ou thématiques, des meurtres et profanations commis au nom de Satan, et sur le NSBM. Dans son plan général, il assume de ne pas citer tous les groupes de la scène BM, et forcément, ça crée une frustration. C’est un choix, et une conséquence également, il n’a pas eu de retour de tous les groupes qui ont composé la scène finlandaise, et pour certains, il gardera quelques citations, pour mieux appuyer les groupes dont il parle. Il a établi un lexique en fin de livre, mais on n’y retrouvera que les noms cités dans le livre. Pas d’exhaustivité, donc. Dommage pour qui aurait aimé avoir quelques infos sur Catherine la Voisin, par exemple, groupe qui n’a sorti qu’une démo et qui a disparu, considéré comme une farce de connards par certains (le mec de Devilry par exemple, au détour d’un échange personnel de mails), ou excellent pour d’autres (moi, et un pote. Ca doit vous laisser comme deux ronds de flanc, une telle info). Et puis certains groupes ne semblent montrer aucun recul sur leur travail, leur vision mystique d’eux- mêmes, et ce n’est pas contrebalancé par l’auteur. On en déduit un peu la différence entre certains musiciens, encore assez jeunes, par rapport à d’autres vieux briscards un peu moins premier degré.
La deuxième partie, Explosion, porte bien son nom. Après la percée des ainés, les jeunes zicos se décident à fourbir les guitares et se lancer, et période oblige, entre 1995 et 1999 grosso modo, c’est l’explosion de la scène Black Metal au niveau international, les labels s’intéressent. On va retrouver ici Azazel, Diaboli, Darkwoods my Betrothed, Vornat, Horna, Thy Serpent, Urn, Musta Surma, Black Dawn, et… …And Oceans. Ouais. Faut dire que ce groupe a eu du succès, dans un style qui s’est quand même très vite éloigné du Black classique.
Après, le plan de Tero est bien organisé. Tous ces groupes, dans un style (voire un esprit) assez différent, correspondent à une même séquence et on aurait du mal à les dissocier, malgré la différence par exemple entre Vornat et And Oceans.
La troisième partie complète cette deuxième, mais avec une liste de groupes différents, donne un autre ton et une autre voie au Black finlandais. Satanic Warmaster, Warloghe, Clandestine Blaze, Behexen, Goatmoon, Anal Blasphemy… adieu les claviers pop d’And Oceans, le kitsch de Darkwoods my Betrothed, des groupes et des albums qui n’ont pas forcément bien vieilli vingt ans plus tard… Ici on passe à du sale, et on revient à des thématiques plus recentrées, mais on n’oubliera pas la mélodie.
Quant à la quatrième partie, là, j’ai décroché un poil. Faut dire, les groupes interviewés ne m’ont jamais vraiment interpellés. IC Rex, Charnel Winds, Cosmic Church, Saturnian Mist, rassemblés autour de la fraternité de l’étoile d’Azazel, qui n’a malheureusement aucun lien avec le leader d’Azazel, au moins on aurait pu rigoler ! Là, ces groupes ne me parlent pas. J’ai appris que Saturnian Mist était la suite d’Anxiety, qui avait sorti des démos chez Drakkar. Alors peut-être avais-je vu passer l’info, mais je n’avais pas percuté. Et devant la foi du mec dans sa propre musique et l’aspect satanique et incantatoire de son art, j’ai réécouté, et franchement… faut savoir arrêter le marketing, et redescendre sur terre. Le fait d’intégrer la brotherhood of the star of Azazel démontre bien l’état d’esprit de ces groupes, et je trouve ça plutôt chiant. Ces groupes recouvrant la période des années 2010, on peut s’étonner, voire regretter de ne pas avoir mentionné d’autres groupes nés de cette période, même si issus d'une autre mouvance.
Mais comme the Devil’s Cradle n’est pas une anthologie de la scène finlandaise, mais bien une interprétation, on comprendra le choix, tout en le regrettant !
Mentionnons tout de même une interview d’un membre de la scène, tout en n’en étant pas un, il s’agit d’Ahti Kortelainen, qui n’est autre que l’ingénieur du son en sandales chaussettes (cf photo page 312) des fameux studios Tico Tico !! Ou comment un ingé son qui se gratte la tête au son du Black Metal en devient l’un des techniciens les plus connus et prisés.
Finissons sur l’objet en lui-même, édité chez Svart Records, The Devil’s Cradle est un bien bel objet, épais, à couverture rigide reliée, dorure, mais on regrettera l’impression au niveau des photos. On est sur du noir et blanc, et si sur certains visuels, ça colle parfaitement, les photos d’archives perdent du tirage d’impression numérique… Je ne remuerai pas le couteau dans la plaie des lecteurs de versions françaises d’éditeurs visant à l’économie.
Au final, ce qui n’est pas une anthologie, est une version des plus intéressantes du Black Metal finlandais, évoluant sur vingt-ans, avec ses transformations et ses personnages, qui traversent le temps ou se sont arrêtés depuis.