Je connaissais Jacques Sadoul anthologiste, écrivain, fan de science-fiction, directeur de collection... Mais je méconnaissais son rôle chez J'ai Lu !
Mon ami Kurgan, revenu d'entre les morts il y a peu, m'a prêté la biographie de Sadoul, dénichée dans quelque puces ou vide-grenier...
La biographie d'un directeur de collection chez J'ai Lu, ça peut faire peur. Qu'est-ce qu'un mec comme ça a à raconter ? Les interminables réunions où le patron appelle ses subalternes "coco" et demande à Martine de nous préparer un petit café, voulez-vous ? Les palabres pour que finalement Nadine de Rotschild cède les droits de ses bouquins à pas trop cher, afin que les lectrices puissent savoir comment une strip-teaseuse peut arriver à plier correctement du linge de maison ?
Ben non. Sadoul n'est pas un type qui est sorti d'une école de commerce et qui résonne en marketing et en résultats, en statistiques et en cibles de segmentation.
Tout au long du bouquin, on se dit que Sadoul arrive là un peu par hasard, ou plutôt par chance (il aime bien ces deux termes). Fan de science-fiction, de bandes dessinées, il s'intéresse, et finit toujours par tomber sur quelqu'un qui croit en lui et le place quelque part... Et là où il est, il arrive à imposer ses passions. Revenons sur la chance... Sadoul a quand même eu la chance émérite de rencontrer Jacques Bergier (les anecdotes sont excellentes) et de devenir son quasi-héritier, et beaucoup d'auteurs de SF lors de rencontres à l'étranger... Tisser de vrais liens avec des auteurs trop ravis d'être publiés en France...
Sadoul est entré chez J'ai Lu, et on lui doit pas mal de réalisations... qu'elles fussent liées à la SF, ou non. La hantise des vide-greniers et bourses aux livres, Guy des Cars en format poche, c'est de la faute à Sadoul. Barbara Cartland, c'est Sadoul aussi. Mais les collections de SF, Fantasy, c'est lui aussi, et son abnégation. Plus étonnant encore, la collection Librio, c'est lui. Je ne savais même pas que c'était une sous-division de J'ai Lu... Au final, vu les volumes que je possède de cette collection... des Sherlock Holmes, des Jean Ray, des Lovecraft, Machen, Verne... ouais ben ça colle !
Encore plus incroyable, Sadoul était crypto membre (présent au bureau, mais pas dans l'ours) de Fluide Glacial dans les premières années ! Décidément ce type était partout...
Une vie professionnelle bien remplie, et riche en rencontres et en idées... Dans la biographie, Sadoul nous raconte comment il a acquis des victoires, des auteurs qui ont fonctionné, d'autres moins, comment le format de poche a su plaire aux lecteurs, pas aux critiques, des fois moins aux auteurs, qui en ont payé le prix quand ils passèrent chez des éditeurs plus classiques... Sadoul n'a pas sa langue dans sa poche et n'hésite pas à lâcher quelques vérités sur certains auteurs ou personnes du milieu littéraire. Au point de vue du monde de l'édition, c'est très intéressant. Intéressant de savoir comment ça marche, enfin comment ça marchait il y a 40, 30, 20 ans, et les facilités et difficultés rencontrées alors... J'ai l'impression qu'il s'agit d'un âge d'or révolu... que les dizaines de milliers d'exemplaires vendus d'un titre semblent inaccessibles pour un écrivain de maintenant (de SF, hein, il y a encore de beaux jours pour les romanciers à l'eau de rose).
Quand Sadoul s'attarde sur son activité d'écrivain, c'est toujours aussi passionnant. Passion... Oui la Passion selon Satan, son premier livre que j'ai chroniqué dans ce blog... enfin, une version révisée, car Sadoul l'a réécrit entièrement des années plus tard... Ce premier tome des chroniques de R., quand il a été publié, atteint le chiffre record de 92 ventes ! Une belle carte de visite, néanmoins car elle lui ouvrit des portes ici et là, et un succès littéraire au Portugal. Rien de moins.
Il nous parle également de sa fille Barbara, élevée aux pulps Weird Tales de la collection de papa, spécialiste ès vampires et loups garous, qui publie également des anthologies chez Librio... Un cahier central de photos la représente en compagnie de Christopher Lee... Décidément...
Bref, ce livre est une mine d'informations, d'anecdotes, de révélations sur non seulement des publications liées au genre fantastique, SF, mais à l'édition même, sur la seconde partie du XXe siècle. Le tout dans un style clair, souvent teinté d'humour et toujours de sincérité (je ne retiendrai pas le blog SF d'un merdeux qui après avoir encensé le bouquin et l'homme, lâche un "le style littéraire est sans intérêt, voire mal écrit", le type même du con qui se prend pour un critique, limite un écrivain lui-même. Va donc, eh connard !), un livre à lire absolument.
Et dernière anecdote, chose incroyable, Sadoul avait présenté le manuscrit de sa bio à J'ai Lu, qui l'a d'abord rejeté ! Après 30 au service de la boîte, c'est un peu fort de café. Mauvais choix, restriction marketing, ou peur du contenu qui égratigne quelques anciennes gloires, littéraires et internes de J'ai Lu ? En tout cas, la réédition que j'ai lue (hi hi, quand même chapeau le mec qui a trouvé le nom) a bel et bien été sortie par J'ai Lu.