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Livre - Page 4

  • La sanglante Vie du Baron Ungern Von Sternberg

     

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    Attention, document exceptionnel !! Les derniers écrits qu'aurait laissés le baron Ungern von Sternberg, en prison, entre son procès et le moment de son exécution... Un manuscrit retrouvé en Russie, déclassifié des archives du KGB... Véritable testament, ou faux qui résonne comme un hommage ? Dur de le savoir réellement.

    L'éditeur sous-titre : "le testament d'un antisémite qu'Hitler admirait". Il espère certainement surfer sur le succès de Dieudonné, auprès de ses fans pour attirer le chaland, eh eh eh, ou simplement trouver une parade contre les censeurs pour pouvoir publier ce court livre d'une centaine de pages.

    Une courte centaine de pages, mais où chaque page claque. Chaque page résonne comme les mitrailleuses des trains blindés, comme les fouets des cavaliers, comme les sabots de leurs chevaux, comme la noble haine qu'incarne Nikolai Robert Maximilian von Ungern Sternberg, baron balte au service du tsar, devenu dieu de la guerre en Mongolie.
    Un destin incroyable pour ce personnage issu d'une longue lignée de guerriers. Le récit revient sur quelques-uns de ses hauts faits, et surtout, sa haine des Bolcheviks, et des juifs, son mépris pour les Slaves, et l'admiration qu'il suscita chez les descendants de Genghis Khan.

    Un récit fort, cruel, sans pitié, mais emprunt de poésie païenne, influencée par la fierté mongole, et leur environnement sauvage.

    Quelques extraits :

    "Il m’est souvent arrivé de partir galoper seul dans la nuit. Pourquoi en aurais-je peur ? Je suis avec les miens. Avec les loups qui hurlent. Avec les squelettes des cadavres que je leur ai offerts. Là-bas, dans la forêt, j’ai un ami. Un corbeau niché dans un arbre. Je vais le voir fréquemment. C’est un oiseau de mort. Que suis-je d’autre ? Il m’est reconnaissant. Je suis son père nourricier puisqu’il peut picorer dans les orbites des cadavres que les loups n’ont pas entièrement dévorés. Un jour il lui est arrivé malheur. Je ne l’ai pas trouvé. Et ce malheur s’est abattu sur moi. La branche sur laquelle il m’attendait d’habitude était vide. J’ai compris alors que ma vie touchait à son terme. Et qu’il me fallait rejoindre le corbeau. Il m’attend sans doute dans les profondeurs abyssales de Thulé. Nous repartirons de là-bas pour ma dernière et sanglante chevauchée. Notre chemin sera tapissé de cadavres. Il ne manquera de rien."

    "J’aime les bêtes sauvages, ai-je dit. Sipaïlo était ma bête sauvage. Ce que je faisais par devoir, il l’effectuait par plaisir. Un chien féroce et jamais rassasié. Il tuait, violait, torturait, poussé à cela par de sombres pulsions pathologiques. Un fils de pute, certes. Mais mon fils de pute."

    "Un philosophe français, Descartes, a dit « je pense donc je suis. » Dans les milieux frelatés et moisis de l’intelligentsia russe, on affecte d’y voir la meilleure définition de ce que peut être un être humain. Non, non et non. Penser est une lâcheté. Une activité tortueuse. Penser corrompt l’âme et tue ce qu’il y a de plus noble en l’homme : l’instinct. Moi je ne pense pas. Je sais. Je sais sans hésitation. Aussi sûrement que la nuit succède au jour. Avec autant de certitude que je sais que le fer et le feu réchauffent l’âme du guerrier. Comme je sais qu’un nain ne sera jamais un géant et que les esclaves n’ont pas vocation à devenir des maîtres."

    "Oui, je serai ce cavalier. Ma tête restera a Thulé. Et moi, ange de la terreur, je galoperai sans fin sur mon cheval. Je sillonnerai de jour les rues d’Ourga et je glacerai d’effroi les Rouges qui dominent cette sainte cité. J’irai plus loin. Je traverserai la Sibérie. Je connais le chemin pour l’avoir déjà fait. J’entrerai dans Moscou, faisant fuir la populace apeurée. Je chevaucherai dans Petrograd, ville maudite car nid de révolution, et les foules apeurées se jetteront dans la Neva. Jamais je ne m’arrêterai."

    Faux ou pas, ce récit nous renvoie à des récits épiques à la Robert Howard, à la philosophie de l'acier et du marteau, et c'est un réel plaisir à lire. Pas de regrets, pas de pitié, un héritage millénaire, une destinée tracée pour ce baron sanglant.
    L'initiateur du livre, Benoît Rayski - qu'Ungern aurait détesté doublement ! - livre une préface et une postface pas forcément intéressantes, en regard du récit lui-même. Il n'évite pas la comparaison et le rapprochement avec les nazis et Hitler, qui en ont fait un héros de leur mythologie. Ungern, un modèle pour Hitler, dans son éradication des Rouges et des juifs... Je pense que c'est plus que ça. La mystique du personnage, le guerrier païen issu d'une race de guerriers, élu par Dieu pour imposer un Ordre à l'Europe, au monde, une mission quasi-divine, voilà ce que représentait Ungern pour Hitler. Un prophète, un avatar. Et ce, bien au-delà d'une lutte viscérale contre un parti ou une religion. Contre le monde !

    Voici la présentation du livre par Benoît Rayski. On reconnaîtra la voix de l'intervieweur en la personne de Jean Robin, qui se trouve également être l'éditeur du livre.


    Benoît Rayski présente une autobiographie du... par enquete-debat

  • Explosions textiles - mon premier T-shirt de groupe

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    Je vous avais déjà parlé de Nasty Samy dans ma note sur la bio de Kevin K. Ce maniaque qui a horreur de se poser cinq minutes pour glander, cumule activités de musicien au sein de plusieurs groupes, les siens propres, ou en tant que session pour divers groupes en tournée, tournées qu'il effectue bien volontiers, et à côté de ça il anime un site, www.likesunday.com, dont les écrits se sont retrouvés imprimés dans plusieurs numéros de son zine éponyme, il fait un podcast, une véritable émission de radio faite avec les moyens du bord (qui de nos jours, sont largement équivalents à des moyens pros) où il passe des disques, interviewe des gens, commente seul ou avec un comparse l'actualité ou la culture Metal/punk/bédés/films d'horreur, a sorti la bio de Kevin K, et écrit dans Rise Tattoo Magazine, ainsi que dans le magazine RAD Motorcycles.
    J'ai bien peur que, durant le temps que j'ai passé à énoncer ses activités, il ne s'en soit trouvé une nouvelle. C'est vous dire l'espèce d'énergumène à qui on a affaire.

    Et ben le gars il a aussi eu une idée, et il en a fait un bouquin. Ca s'appelle Explosions textiles. Vous vous souvenez de votre premier Tshirt avec un logo de groupe, un placard avec un démon malfaisant évoquant des guitares tronçonneuses ? Nasty Samy a posé la question à quarante-quatre personnes. Bon, évidemment, ces quarante-quatre personnes (il y a quarante-cinq auteurs, Nasty Samy s'est bien évidemment fendu de son souvenir adolescent !) sont issues de la scène Punk Rock ou Metal, certains sont des gars bien connus, la plupart... restent des anonymes pour qui est étranger à tout ça.
    Parmi les gens connus, il y a le mec qui a fondé le magazine Rage, et bossé à Rock & Folk, Tracks sur Arte, un journaliste ayant bossé à Hard n'Heavy, Rock Sound, des biographes d'Ozzy, Supuration, et surtout, il y a moi ! Et oui les copains, j'avoue sans déplaisir avoir participé de ma modeste contribution à l'aventure de ce bouquin.

    Mon premier tshirt, c'était Alice Cooper. J'avais treize ans, j'étais en voyage scolaire en Angleterre, et ayant pu échapper aux visites imposées par l'école, je m'étais aventuré dans les échoppes louches de Londres, en ressortant avec un Tshirt horrifique, et surtout une grosse dalle, on avait vraiment mal bouffé pendant cette semaine. Le petit déjeuner avec une tasse d'eau chaude (sans thé !!!) et deux pauvres tartines de beurre salé, ouch. Quelques années plus tard, c'était en Espagne, avec l'IUT, les paniers repas étaient infects, les repas le soir sans eau (eau minérale payante, eau du robinet... on le payait aussi, mais de sa vie)... mais bon, cette fois là, on tirait les nutriments de l'alcool qu'on ne lésinait pas à boire. Bref, mon premier Tshirt, c'est toute une histoire, que justement je raconte dans le livre.

    Les plus sceptiques d'entre vous douteront de l'intérêt d'un tel projet, puisque ça reste underground niveau auteurs, et puis le premier Tshirt, certains s'en moquent comme de leur première chemise (il fallait bien que la place, celle là !).
    Je répondrai simplement : oui. Tout est dans le titre. C'est un peu réducteur comme idée, mais... il est bien édité chez les concurrents, à des prix largement plus vertigineux, des biographies non autorisées, basées sur des articles de journaux, des "anthologies", compilations de chroniques de disques de Black Metal avec des pochettes pixelisées, piquées sur internet. Alors pourquoi pas un livre sur la magie provoquée par son premier Tshirt ? D'autant plus que c'est bon esprit, détendu du gland. Chacun y va de sa madeleine de Proust, évoquant souvenirs émus, joie de découvrir... C'est très sympathique à lire.

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    Maintenant, je vais formuler une critique un peu plus poussée du livre.
    Une chose ressort, je l'ai dit plus haut, c'est l'enthousiasme des auteurs à parler de ce moment de leur vie, qui est un passage. Très souvent, il a lieu à l'adolescence (oserai-je dire puberté ?). On sort de l'enfance et on choisit un vêtement qui rompt avec l'innocence et l'inconscience de la mode (quoique cette analyse, aujourd'hui...). Encore en plus quand il s'agit d'arborer les couleurs d'un groupe de musique rebelle, violente et subversive comme le sont les groupes Punk et Metal (quoique aujourd'hui... bis).

    Dans le livre, on peut distinguer trois générations d'auteurs, et de porteurs de Tshirts. Les premiers, nés entre 1969 et 1972, les deuxièmes, nés entre 1977 et 1983, et les troisièmes (assez peu représentés ici), nés après 1985.
    On va reconnaître ces trois générations par le type de tshirt porté, quels groupes, et surtout par la manière dont ils l'ont obtenu. Les "anciens" ont surtout commandé leur tshirt par une VPC, Harry Cover en Angleterre (le jeu de mot était-il intentionnel ?), ou par un voyage à la capitale, le maillot de corps sérigraphié étant assez peu diffusé en magasin (mercerie, même).
    La deuxième catégorie, largement représentée, regroupant Nasty Samy, moi-même et pas mal de ces acolytes qui ont répondu à la question, se retrouve avec un Tshirt Metal très souvent comme premier maillot. Acheté sur le marché. Faut dire que la plupart des auteurs sont des provinciaux. Le morphotype sociologique parisien serait assez différent à mon avis. Puces de Clignancourt !
    La troisième catégorie suit assez la deuxième, les groupes évoluent, ce sera plutôt Korn que Kreator, mais on trouve le Tshirt par les mêmes biais.
    On pourrait s'étonner que peu de gens achètent leur premier Tshirt à un concert. Celui-ci doit être le deuxième Tshirt. Ou l'achat du premier dans un cercle non exclusivement Metal/Punk (VPC, concert, distro, etc) est une sorte de rituel de passage. En même temps, au sortir de l'enfance, acheter son premier tshirt directement dans une distro de mecs un peu louches (mais au grand cœur si on creuse un peu), ça semble un peu irréel s'il n'y a pas un pote, un grand frère qui fait office de passeur.

    Malgré ces questions de génération, autant l'avouer, d'autant plus que j'ai participé à la chose, sans avoir lu d'autres interventions, il faut reconnaître une chose : on est tous pareil. C'est bien ce qu'on retire de la lecture du livre. La même passion, déclinée sous divers styles, une certaine évolution des goûts et intérêts vingt ans après, mais on sent l'œil qui brille, et les boutons d'acné qui poussent, cette même sève qui revient, sur une période qu'ici personne ne renie.

    J'en viens au seul écueil du livre. Les auteurs, on se reconnaît en eux, malgré les différences de génération. Seulement... ce sont tous des hommes. Le point de vue féminin aurait été intéressant à connaître, dans ces milieux underground et virils, les filles sont rares, encore plus rares quand elles restent dans le milieu, et n'ont pas forcément la même approche de tout ça. Je me souviens, au collège, y avait une nana de ma classe qui avait un tshirt Megadeth "Countdown to Extinction". Elle connaissait pas Megadeth, elle trouvait juste le Tshirt cool. Je l'avais méprisée pour ça. Un peu con, hein, j'aurais plus eu mes chances avec elle qu'avec d'autres bêcheuses qui m'ont cruellement éconduit. C'est tout moi, ça.
    Et dans le bouquin, y a quand même une fille. Et là, amère déception. En guise de mémoires, elle nous pond une sorte de nouvelle qui en soi, n'a aucun intérêt. La tranche de vie de trois potes en voiture, en direction d'un concert, maniaques sur leurs Cds, et collectionneurs de Tshirts. Histoire plutôt banale à mon goût, puisque collectionneur de disques et de Tshirts, comme beaucoup j'imagine (pas de la génération mp3, sorry guys). Du coup son point de vue féminin... y en a pas. J'ai même peur que la nana n'ait fait aucun cas de son premier Tshirt Metal, Punk ou Rock si elle en a jamais eu un.
    Tout ceci a plutôt tendance à me conforter dans le fait que le Metal (plus encore que le Punk ou le Rock) est quelque chose de foncièrement masculin, en tout cas qu'il fait appel à des récepteurs virils, que ça se passe dans les intestins et dans les couilles, et que malgré la minorité de filles partageant ce même goût, ce n'est pas quelque chose qui parle à la gente féminine.
    Un peu comme la guerre, quoi, ah ah ah.

    Allez, n'hésitez pas à choper le bouquin (à prix très décent ! Y a même un poster pour votre chambre d'ado) chez le Mortuacien qu'est Samy : http://www.nastymerch.com/

  • De Goupil à Margot - Louis Pergaud

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    Plusieurs nouvelles rassemblées dans un même livre, récits ayant comme point commun d'avoir des animaux comme personnages principaux. Un renard, une belette, un écureuil, un lièvre...
    Tout ceci fleure bon le sous-bois, le chaume, la rosée printanière, l'humus regorgeant de vers juteux, les rayons du soleil qui réchauffent la terre, et la vie animale, simple et faite de plaisirs, à aller croquer un oisillon, une noisette, ou toute autre proie qui se présente...

    Mais en vérité, c'est un peu déprimant, car la vie est cruelle envers ces animaux dont on prend le parti. Cruauté des autres animaux, et pire, cruauté de l'homme, celle qui provoque la fin de ces animaux qui ne comprennent pas ce funeste destin.

    Goupil, capturé par un paysan qui lui pose un collier avec un grelot, le pauvre renard essaiera d'échapper à ce bruit synonyme de danger, de chien à ses trousses pour le fouailler de ses crocs, de la présence de l'homme qu'il préfère éviter. Et quand Goupil aura compris le stratagème, dur handicap pour la chasse, quand ses proies réagissent à ce même grelot, sa courte vie se résumera à de modestes proies, et à des charognes.
    Fuseline, la petite fouine dont la patte sera prise au piège dans la grange, créature trop insouciante après s'être gavée de poules... Obligée de se défaire de sa patte pour se sauver, en la désarticulant, puis la déchirant.

    C'est beau, mais putain, que c'est triste !

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  • Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson

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    Attention, voici un bouquin indispensable !!! A lire absolument !!

    Sylvain Tesson est un aventurier moderne, qui part aux quatre coins du globe, souvent assez vite, en vélo, en courant, à fond les ballons, de peur de ne pas avoir traversé une route quelque part au Pérou, avant de mourir. A la suite d'une aventure précédente, où il avait partagé le gîte de Sibériens sur le lac Baïkal, l'auteur a décidé de venir se poser quelques temps, de vivre l'aventure d'un ermite, le temps d'une saison. Défi à mettre à côté de celui d'escalader l'Himalaya, a priori. Survivre au froid, aux ours, et aux glaces.

    Et pourtant, c'est un autre défi que vient de se lancer l'écrivain aventurier. Ce n'est pas la performance, mais c'est le défi de se poser, de réfléchir, et de se retrouver. Se rencontrer même, avant de se retrouver. C'est pas en cavalant dans le Gobi qu'on sait qui on est. On sait qu'on a couru et perdu 14,5 litres de sueur dans la journée. La cabane au bord du lac Baïkal, c'est pas pareil.

    Rester six mois au même endroit. Voir la saison passer, la nature changer, et occuper son temps. Un défi qui semble impensable pour beaucoup, notamment les bourgeois poudrés parisiens, qui ont eu l'air de voir dans cette aventure un défi contre l'ennui, contre l'absence matérielle et matérialiste, et l'inconfort. Ces journalistes voient certainement la Sibérie comme très lointaine, loin de leur confort, mais avouons-le, l'auteur n'aurait presque pas eu à quitter le territoire français pour vivre aventure similaire. J'exagère à peine. Mais l'éloignement est un moteur permettant cet exil, cet ermitage pour l'auteur, qui avoue aussi apprécier son confort parisien.

    Mais cet ermitage a permis de faire cogiter l'aventurier. C'est le plus intéressant du bouquin. La solitude qui fait gamberger, la nature rude mais généreuse qui fait relativiser l'existence matérialiste de l'Occidental du XXIème siècle.
    En vivant au contact de la nature, et de ses habitants, du règne animal ou humains, Sylvain Tesson redevient un homme, et plus un athlète à la recherche de la performance. Quand il va croiser des semblables, avec plus ou moins de classe, riches Russes en 4x4 qui traversent le lac gelé dans un safari ponctué de vodka et de techno music, ou world travellers écolos, il n'est déjà plus comme eux. Ils passent, lui vit ici. Il puise de la terre sa substance pour s'en nourrir, pour se chauffer.

    Et il pense. Il pense à ce qu'il est à Paris, et ce qu'il est ici. Et où l'Homme se situe.

    Extraits :
    "Le bonheur d’avoir dans son assiette le poisson qu’on a pêché, dans sa tasse l’eau qu’on a tirée et dans son poêle le bois qu’on a fendu : l’ermite puise à la source. La chair, l’eau et le bois sont encore frémissants. Je me souviens de mes journées dans la ville. Le soir, je descendais faire les courses. Je déambulais entre les étals du supermarché. D’un geste morne, je saisissais le produit et le jetais dans le caddie : nous sommes devenus les chasseurs-cueilleurs d’un monde dénaturé.
    En ville, le libéral, le gauchiste, le révolutionnaire et le grand bourgeois paient leur pain, leur essence et leurs taxes. L’ermite, lui, ne demande ni ne donne rien à l’État. Il s’enfouit dans les bois, en tire subsistance. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement.
    Devenir un manque à gagner devrait constituer l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et de myrtilles cueillies dans la forêt est plus anti-étatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs. Les dynamiteurs de la citadelle ont besoin de la citadelle.
    Ils sont contre l’État au sens où ils s’y appuient.
    Walt Whitman : « je n’ai rien à voir avec ce système, pas même assez pour m’y opposer. » En ce jour d’octobre où je découvris les Feuilles d’herbe du vieux Walt, il y a cinq ans, je ne savais pas que cette lecture me mènerait en cabane. Il est dangereux d’ouvrir un livre."

    "Il faudrait lui expliquer que ces mouvements sont des manifestations de colère sociale et que l'origine ethnique de leurs acteurs, si elle impressionne les Russes, n'est pas évoquée par les commentateurs français. Il faudrait lui dire qu'il ne s'agit pas de révolution. Ces troubles à l'ordre public ne visent pas à renverser le monde bourgeois mais à y accéder. Entend-on les jeunes réclamer liberté, puissance et gloire ? Pourquoi brûle-t-on les voitures dans ces couronnes de misère ? Pour critiquer les ravages de la technique et du marché sur les sociétés ou par dépit de ne pas posséder les plus belles et les plus grosses d'entre elles ?"

    "Je pousse la porte de la cabane. En Russie, le formica triomphe. Soixante-dix ans de matérialisme historique ont anéanti tout sens esthétique chez le Russe. D'où vient le mauvais goût ? Pourquoi y a-t-il du lino plutôt que rien ? Comment le kitch s'est-il emparé du monde ? La ruée des peuples vers le laid fut le principal phénomène de la mondialisation. Pour s'en convaincre, il suffit de circuler dans une ville chinoise, d'observer les nouveaux codes de décoration de La Poste française ou la tenue des touristes. Le mauvais goût est le dénominateur commun de l'humanité."

    "En Russie, pour signifier qu'on s'en fout, on dit "mnie po figou". Et on appelle "pofigisme" l'accueil résigné de toute chose. Les Russes se vantent d'opposer leur pofigisme intérieur aux convulsions de l'Histoire, aux soubresauts du climat, à la vilenie de leurs chefs. Le pofigisme n'emprunte ni à la résignation des stoïciens ni au détachement des bouddhistes. Il n'ambitionne pas de mener l'homme à la vertu sénéquienne ni de dispenser des mérites karmiques. Les Russes demandent simplement qu'on les laisse vider une bouteille aujourd'hui parce que demain sera pire qu'hier. Le pofigisme est un état de passivité intérieure corrigée par une force vitale. Le profond mépris envers toute espérance n'empêche pas le pofigiste de rafler le plus de saveurs possible à la journée qui passe. Le soir constitue son horizon limite."

    La plongée dans l'univers russe est une part importante de l'ermitage, une autre manière de penser, que l'auteur résume bien avec le "pofigisme". Une révélation identitaire, en quelque sorte.

    Parlons d'identité. L'identité européenne, étendue jusqu'à la Russie sibérienne, que Tesson retrouve, mais n'exprime pas toujours clairement. Quand un de ses interlocuteurs russes s'étonne de voir qu'en France, des émeutiers arabes mettent à feu les villes, il émet une critique intelligente, sociale (voir plus haut) de la situation et de ses tenants, mais il réfute la question ethnique, pourtant évidente pour un Russe. Okay, le Russe pense peut-être que toute la France était concernée par ces émeutes, jusqu'au moindre village, ce qui est bien évidemment faux, savamment manipulé par les médias. Mais l'évidence reste l'évidence. Aussi, soit Tesson, pétri des bons sentiments institutionnalisés, rate un épisode, une des clés de son aventure, soit il préfère éluder la question et protéger son statut (on sait ce qu'il en coûte à ceux qui s'écartent du chemin !).

    Il ne fait pas le lien entre la laideur imposée par la mondialisation, et les émeutes, le désir d'accéder à la bourgeoisie. Enfin... il ne le fait pas directement. Mais tout le livre est un appel à la beauté de la nature, et de la simplicité de l'être vivant au cœur de cette nature, en même temps que l'élévation, la transcendance de l'homme, qui trouve sa place, et son rôle. L'inverse de la vie hyper urbaine, déculturée, aculturée, ultra matérialiste, assistée, malsaine, qui régit l'Occident décadent.
    Impossible pour l'auteur d'employer le terme de décadence, mais pourtant elle est évidente quand on le lit.

    J'ai pensé à Henri Vincenot en lisant dans les forêts de Sibérie. Quand l'auteur bourguignon quittait sa campagne pour affronter l'horreur de la capitale, lui qui venait d'un environnement sain, il était confronté au dérèglement, à la dépression (lire A Rebrousse-poil et les Yeux en face des trous pour s'en convaincre !). Tesson fait l'inverse. Il vient du pandemonium pour retrouver l'ordre naturel. Et tous deux ont la même conclusion.

    Pour qui ne voudrait pas se poser cette question, le livre reste intéressant, et très bien écrit. Un journal, jour après jour, de la vie d'ermite, qui apprend à rythmer ses journées, à profiter de tout, accepter tout, et vivre. Vivre, même quand ce n'est pas dévaler des déserts à vélo, mais simplement regarder des mésanges manger des miettes de main sur un rebord de fenêtre. Chaque page du livre est un régal, entre poésie, aphorismes et philosophie, on réfléchit beaucoup en lisant ce journal. Et on réfléchit à soi.

    J'ai regardé sur internet quelques interviews de l'auteur à la sortie du livre en 2011, résumant son aventure. Il est amusant de sentir le décalage entre l'auteur qui prend son temps pour raconter son périple, en paix avec lui-même, et une sorte d'incompréhension de ses interlocuteurs, pas dans le même rythme. La palme va à l'émission de Ruquier où une grue, ancienne favorite d'un futur ex-ministre, maintenant disparue des radars, semblait horrifiée par ce que l'auteur avait vécu, en gros, la peur de tomber nez à nez avec une grosse bête à chaque fois que le mec sortait de la cabane, entre deux coups de pelle pour chasser les mètres de neige tombés dans la nuit. Une lecture assez cocasse, car moi je n'ai absolument jamais ressenti de danger dans ce que Sylvain Tesson a vécu. La prudence face aux ours a toujours suffi à préserver sa vie. Le danger serait plus venu des hommes, à mon avis, que des bêtes. Enfin, drôle d'interprétation de la part d'une féministe acharnée qui finalement, ne fait qu'exprimer un stéréotype génétique féminin, une féministe de salon ayant peur de salir ses chaussures. On pensera plutôt à Lena qui éloigne les loups en leur jetant des cailloux, soutenue par ses vaches et son bœuf, venus à son secours. La chroniqueuse mondaine, les loups l'auraient recrachée après avoir eu une indigestion.

    Malgré les conditions un tantinet spartiates du séjour, reconnaissons-le, l'auteur n'est pas arrivé sans technologie. Ordi portable, téléphone satellite, la moitié du matos n'a pas tenu le choc, mais il a filmé cette aventure. Et un film en est né, un très bon complément au livre. A voir absolument, mais surtout... à lire absolument !!!

     

     

     

  • L'Empire du Baphomet - Pierre Barbet

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    Très sympathique petit volume que cet Empire du Baphomet !
    D'où vient la création de l'ordre des Templiers ? Tout simplement de la rencontre un poil fortuite entre Hugues de Payn (et pas Hugues de Payns, erreur volontaire certainement pour éviter de payer des droits aux petits-enfants !) et un Baphomet, extra-terrestre avec tête de bouc, petites ailes dans le dos, qui s'est crashé avec son vaisseau extra-terrestre, en pleine mission de conquête de la Terre.

    Le démon extra-terrestre va conclure un deal : pognon, pouvoir en échange d'aider à la conquête du monde, mais occultant un peu le but ultime de l'affaire, que tout ça profite uniquement au Baphomet.

    Hugues de Payn accepte, et crée l'ordre du Temple ! Plus de cent cinquante ans plus tard, nous suivons Guillaume de Beaujeu à St Jean d'Acre, qui va expédier aux enfers les Sarrasins de Baïbars, avec l'aide d'une arme confiée par le Baphomet, qui fait passer le feu grégeois pour de la pâte juste bonne à réchauffer un caquelon à fondue : une grenade atomique !
    Ce danger pour la Terre sainte écartée, Guillaume de Beaujeu entreprend de mettre sous son joug l'Orient. Il met à genoux Samarkand, et vise le palais du descendant de Genghis Khan...

    Est-ce que les Hospitaliers vont accepter cette puissance inexorable de leur allié ? Les Mongols sont-ils plus braves que les Sarrasins ? Est-ce que le Baphomet va approuver qu'on touche à ses figurines qui permettent de communiquer, des walkies-talkies extraterrestres ?

    Court roman de Pierre Barbet (158 pages chez J'ai Lu !), une uchronie bien pensée, assez révélatrice de l'époque, 1972, la peur de l'atome... Mais plongés en 1275, entre Francs, général suisse et ses soldats anglais, à la reconquête de Jérusalem, jusqu'à Cathay, on se croirait dans un Robert Howard de sa période croisades et... allez quoi, un Lovecraft pour un démon à ailettes tombé du ciel ? Un peu de Jules Verne pour la technologie de pointe dans une période où la bougie était un moyen de s'éclairer et pas un accessoire de décoration et qui sent bon ?
    Bon, comme c'est un court roman, ça va assez vite à l'essentiel, en reléguant des persos secondaires au minimum syndical, c'est peut-être le point négatif du bouquin...
    Croisade stellaire, sorti deux ans plus tard, semble être la suite directe de cet Empire du Baphomet. Visiblement, J'ai Lu ne l'a pas réédité, ce qui semblerait vouloir dire que le présent volume n'a pas connu un grand succès... Dommage ! Un bon petit roman SF de gare, avec du démon, de la bataille de croisés, ça remplit très bien son office !

  • Tabula Obscura

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    Ajna Offensive, qui nous a esbaudi avec son récent Entartete Kunts, avait auparavant sorti un autre livre d'illustration, Tabula Obscura, compilant les œuvres de Manuel Tinnemans, Sami Albert Hynninen et Timo Ketola.

    Si on doit faire une comparaison avec le Entartete Kunts, elle serait mal aisée. Oui c'est un recueil d'illustrations, avec une courte biographie de chaque illustrateur, mais en dehors de ça, tout diffère. La table obscure repose sur un fond blanc, les œuvres ne sont pas forcément en pleine page, cette présentation crée un univers différent, et ici on ne s'intéresse qu'à trois illustrateurs qui oeuvrent dans un relatif monde commun : le Black Metal, Doom Metal, à tendance un poil intellectuel, voire... bourgeois, et très tendance. Ketola (qu'on retrouve tout de même dans Entartete Kunts !) est responsable de plusieurs pochettes de Deathspell Omega, Tinnemans de Bunkur, Urfaust, et Hynninnen n'est autre qu'Albert Witchfinder de Reverend Bizarre, dont il a assuré certaines pochettes, ainsi que celles de Jex Thoth.

    Des œuvres connues, donc, qui feront souvent se dire "ah oui tiens, déjà vue, celle là", ou "ah c'est de lui ça ?". On ne peut pas dire que ces illustrateurs ont travaillé pour des groupes inconnus, ou qui n'ont pas eu une certaine mise en avant dans la scène underground.

    Fort heureusement, on n'est pas dans un déballage de name dropping, et de über kvltisme, si le livre rassemble ces trois illustrateurs, c'est parce que leur style n'est justement pas le même que celui (ou ceux) qu'on peut retrouver dans Entartete Kunts. Moins basé sur le gore, l'horreur, mais qui contient une dimension occulte, et une vision différente. Le noir a bien des nuances ! Ici elles sont peut-être moins brutales que dans Entartete Kunts, mais tout aussi dérangeantes.

    Les œuvres sont accompagnées de textes, courts pour Ketola, plus développées pour Hynninnen, et Tinnemans s'en est tout simplement abstenu.

    Un superbe bouquin, très classieux, une réussite pour Ajna Offensive !

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    Le livre est disponible ici : http://www.forgottenwisdomprod.com/catalog/product_info.php?cPath=38&products_id=4417